Le nouveau numéro d'Azerty vous invite à chausser vos crampons pour trouver du bon dans la négociation, à ne pas choisir entre fraternité et sororité, à refuser les agendas politiques et à situer Chomolungma sur la mappemonde. C'est pas triste.
#39 - Septembre 2024
👩🏻 Bonjour à tous mes addicts du lexique. Je voulais d’abord me réjouir (les raisons de le faire sont à saisir avec fougue) : si vous me lisez, c’est que vous n’avez pas été atteints de botulisme en mangeant du pesto à l’ail des ours et c’est tant mieux. Faut-il le rappeler ? La vie ne tient qu’à un fil. L’avancée de nos dossiers nationaux et internationaux ne tiennent également qu’à un fil : celui de la discussion. Avec des mots, c’est toujours mieux qu’avec les poings.
📆 LE MOT DE L’ACTU
Compromis
Photo de Kate Laine sur Unsplash
Voilà un mot qui n’a pas un physique facile. Avec la même racine que « compromettre », c’est sûr qu’il part avec un certain handicap. Il trimballe pas mal de connotations négatives, celles du mauvais lâcher prise et de la faiblesse de l’entre-deux. Pourtant, le compromis n’a pas toujours tout faux. N’a-t-il pas parfois la sagesse de composer avec les réalités, pour avancer quand même ? En tout cas, le compromis a les projecteurs de l’actu braqués sur lui : avec un parlement aussi morcelé, il faudrait prendre exemple sur nos voisins européens pour renforcer le parlementarisme, créer des coalitions par dossier… et trouver ces fameux compromis nés de saines discussions de fond. Il parait que ce n’est pas dans notre tempérament français. L’Histoire nous montre pourtant qu’il n’en est rien. Nous avons finalement chez nous bien plus de tendances politiques pour dialoguer que dans la situation assez binaire observée en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Et les lois issues de compromis entre différentes tendances politiques seraient même par définition plus solides, car mieux adaptées à la réalité de la société. Si vous avez l’oreille disponible, ce podcast revient justement sur ce qu’on entend par parlementarisme et ce qu’a vécu notre Assemblée nationale dans ce domaine, notamment pendant la IIIe et la IVe République. Com-promis, recul historique dû !
Restons, s’il vous plaît, sur les bancs de la République pour évoquer l’adelphité qui pourrait peut-être un de ces jours remplacer le mot « fraternité » dans notre devise. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’a en tout cas déjà suggéré, afin de disposer d’un terme plus « neutre » que fraternité ou sororité. Rien à voir avec un néologisme : le terme adelphité apparaît en grec au IIIe siècle, pour désigner le lien de parenté entre les enfants nés de mêmes parents, sans préciser leur genre. Sur la même racine, des communautés chrétiennes vont même inventer le terme philadelphia pour désigner l’amour que se portent les frères et sœurs de cette communauté. Ni une, ni deux, le mot est carrément repris par le quaker William Penn qui fonda la ville de… Philadelphie. Dans la famille de l’adelphité, vous pouvez aussi demander l’adelphe qui désigne en botanique deux pousses venant d’une même racine ; l’adelphie utilisée en anthropologie à la place de fratrie ou encore l’adjectif adelphique des textes juridiques pour qualifier les relations entre frères et sœurs. Voilà en tout cas un mot d’une belle élégance sonore… sauf si, dans le brouhaha, vous entendez plutôt Adolf Hitler.
Vous aussi, vous avez remarqué : il y a un paquet de gens qui ont raisonné depuis juin dernier avec un agenda politique bien en tête, projeté jusqu’en 2027. Eh bien figurez-vous que cette expression d’agenda politique cache un anglicisme. En français, agenda désigne bien sûr le support où vous notez votre emploi du temps (un carnet ou de plus en plus souvent un smartphone) alors qu’en anglais, un agenda, c’est le programme ou l’ordre du jour d’une réunion. L’Office québécois de la langue française qui ne plaisante pas avec la chose déconseille l’expression « agenda politique », calquée sur l’anglais political agenda, et préconise plutôt « programme politique », « priorité », « ligne d’action ». Peu convaincue je suis, car on ne sent plus trop la stratégie un peu cachée du planning en sous-main. Quand un anglicisme s’installe avec une connotation supplémentaire, difficile de le traduire sans y perdre des plumes, non ? Trafic, futur, focus, opportunité… : d’autres anglicismes vous attendent en tout cas sagement ici. Yes, just for you.
Anne Debrienne
Plume dans la communication, la créatrice d'Azerty est complètement accro aux mots, des plus modestes aux plus rares... et la passion du lexique, ça se partage.
Avec curiosité et légèreté, c'est encore mieux.
Elle est aussi co-auteure de "C'était Mieux Demain" (Ed. Akiléos), objet littéraire non identifié mêlant fausses réclames et billets d'humeur.
A lire aussi dans AZERTY, la lettre qui nous parle des mots