Le nouveau numéro d'Azerty vous invite à donner un autre sens au vent provençal, à mettre un nom sur le règne des incompétents, à toucher les épines de la rose mondialisée ou à vous lancer dans les tableaux de laine au pistolet. C'est pas triste.
#33 - Février 2024
👩🏻 Bonjour à tous mes addicts du lexique. J’espère que vous avez prévu un truc fou à faire en ce 29 février. Un jour gratuit tous les 4 ans, il faut absolument profiter de la promo. Sinon, chez Azerty aussi, on a bien compris qu’apparemment, le monde était plus en train de faire la guerre que l’amour. Alors, on a dégainé des mots qui tombent à pic dans ce monde de brutes et d’incompétents. Installez-vous confortablement. Tout va bien se passer.
📆 LE MOT DE L’ACTU
Mistral
Photo de Khamkéo Vilaysing sur UnsplashVous connaissez bien sûr le vent froid et plutôt violent qui souffle en Provence et dans le bas Languedoc. Mais en ce mois de février qui a marqué les 2 ans de l’attaque de l’Ukraine par la Fédération de Russie, on pourrait aussi déplorer ce vent glacial de la guerre en Europe… et évoquer le Mistral. Il s’agit d’un missile sol-air très courte portée fabriqué dans les usines d’armement françaises. Mistral, vous avez dit Mistral ? Les noms donnés aux entités ou aux objets créent souvent des liens tout à fait intéressants. Mistral AI, c’est aussi le nom d’une start-up créée par trois experts français de l’intelligence artificielle, formés à Polytechnique et à l’ENS, d’abord embauchés par les géants américains… mais revenus à Paris. Pressentie comme une championne européenne à vocation mondiale, Mistral AI est déjà citée par la presse américaine comme une potentielle rivale d’Open AI, à l’origine du fameux ChatGPT. La pépite est même valorisée à 2 milliards de dollars. Voici donc une autre arme technologique qui mérite toute notre attention. Un certain Poutine a dit que ceux qui domineraient le secteur de l’intelligence artificielle domineraient le monde. La pépite Mistral AI ferait-elle souffler un vent de fierté et d’espoir dans le camp des vieilles démocraties de l’Union européenne ?
Chefs de guerre, chefs de meutes ou petits chefs de service… : ils ne brillent pas toujours par leur compétence. Les organisations où la chose se généralise portent un nom : ce sont des kakistocraties. Rien à voir avec le kaki, fruit du plaqueminier du Japon (oui, vous pouvez glisser ça aussi au moment de la salade de fruits). La kakistocratie, c’est le régime (kratos, « pouvoir ») où les postes de pouvoir sont occupés par les plus incompétents (kakistos, « les pires »). Il ne s’agit pas d’un néologisme de 2024, mais de la transposition du terme anglais kakistocracy, utilisé pour la première fois en Angleterre en 1644. Telle une bactérie dans le permafrost, il est resté dans l’oubli pendant près de quatre siècles. Il réapparaît ensuite en 2018, dans un tweet du directeur de la CIA à l’encontre de Donald Trump. Vous pouvez aussi utiliser le terme franco-français cacocratie, du grec ancien kakos, mauvais (comme dans cacophonie). Il était là avant et veut dire exactement la même chose. Merci en tout cas à Sébastien Bailly, un addict du lexique et auteur de l’imparable roman Parfois l’homme*, publié ce mois-ci aux éditons Le Tripode. Il a en effet partagé cet article qui nous dit tout sur la kakistocratie, ce mystère des incompétents devenus « naturellement » managers. C’est important de se documenter, car parfois, l’homme (ou la femme) vit dans une kakistocratie sans le savoir.
*Un livre où le mot azerty figure en page 45 se devait d’être cité et conseillé ici. Évidemment.
C’est fou ça. Alors que nous écrivons naturellement « c’est vous qui décidez », il arrive qu’à la 2e personne du singulier, on oublie de mettre le s à la fin pour les verbes du 1er groupe. Tranquille Émile, on se retrouve alors avec « C’est toi qui décide ». Eh bien non : c’est nous qui décidons et c’est toi qui décides. L’important, c’est de décider : l’expression de 5,68 % du corps électoral parisien a suffi pour décider ce mois-ci du triplement du tarif de stationnement dans la capitale pour les véhicules de plus de 1,6 tonne. Il faut savoir garder le s, mais faut-il conserver son SUV ?
Merci Oscar pour cette solution radicale qui devrait tenter tous les naufragés solitaires de la Saint-Valentin. Tous ceux qui par exemple n’ont pas acheté ce jour-là un gros bouquet de roses rouges. Oui, celles provenant sûrement des serres d’Éthiopie ou du Kenya, transférées en Boeing 747-Cargo vers Aalsmeer, le Wall Street des fleurs aux Pays-Bas. Un vrai symbole de l’amour… la mondialisation, à suivre à la trace juste ici. Alors que les médias nous ont rebattu les oreilles avec une étude sur la baisse de libido généralisée, j’apprends aussi qu’un Français sur dix se dit en situation d’isolement. La communication serait-elle partout et la rencontre de plus en plus rare ?
Anne Debrienne
Plume dans la communication, la créatrice d'Azerty est complètement accro aux mots, des plus modestes aux plus rares... et la passion du lexique, ça se partage.
Avec curiosité et légèreté, c'est encore mieux.
Elle est aussi co-auteure de "C'était Mieux Demain" (Ed. Akiléos), objet littéraire non identifié mêlant fausses réclames et billets d'humeur.
A lire aussi dans AZERTY, la lettre qui nous parle des mots